Le 7 février 2023, le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables a été définitivement adopté par le Parlement avec un ultime vote au Sénat. Le Conseil Constitutionnel a été saisi le 9 février par plus de 60 députés et devra se prononcer dans le mois suivant sa saisine.
Ce projet de loi adresse un enjeu essentiel pour la France : l’accélération de la production d’énergies renouvelables sur le territoire français en temps de crise énergétique et climatique grave. Tout le monde s’accorde à dire que la réindustrialisation est une condition essentielle de la résilience et de la transition écologique en France, mais cette dernière est impossible sans une production d’électricité verte suffisante. Il est estimé qu’il faudra produire 60% d’électricité en plus en 2050 par rapport à aujourd’hui pour atteindre la neutralité carbone. L’objectif annoncé par la ministre de la Transition Energétique Agnès Panier-Runacher est de faire de la France la première grande nation à sortir de la dépendance aux énergies fossiles.
Cette loi se concentre sur les sources d’énergies renouvelables : le cycle législatif concernant le mix énergétique français sera complété par un projet de loi sur le nucléaire, actuellement en cours de revue à l’Assemblée Nationale (première lecture déjà revue par le Sénat). La France repose beaucoup sur ce dernier qui tient une place importante dans son mix énergétique, entre 60 et 70% de la production d’électricité en 2023. Néanmoins, les énergies renouvelables ont un rôle essentiel à jouer, et il convient donc d’accélérer leur déploiement. L’équilibre entre ces sources d’énergie sera, entre autres, le sujet des discussions pour la Loi de Programmation sur l’Energie et le Climat à adopter au second semestre 2023, et plus largement de la Stratégie Française Energie Climat.
La France a du retard par rapport aux autres pays européens en matière d’énergie renouvelable : avec 19% de part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie, la France est le seul pays européen à ne pas avoir respecté ses engagements européens (23% en 2020). D’après une étude publiée le 14 janvier 2023 par Oberserv’ER, la France ne devrait pas non plus atteindre ses objectifs de déploiement d’énergies renouvelables électriques sur la période 2019-2023. Parmi les freins au déploiement des énergies renouvelables, les difficultés administratives jouent un rôle non négligeable : il faut en moyenne 5 ans de procédures pour construire un parc solaire, 7 ans pour un parc éolien terrestre et 10 pour un parc éolien en mer. Ces durées sont nettement supérieures à celles de nos partenaires européens qui vont souvent deux fois plus vite. L’acceptabilité locale est également importante : les projets de centrales solaires et éoliennes sont ancrés dans leurs territoires et doivent emporter l’adhésion de la population locale.
Le texte définitivement adopté le 7 février contient des mesures importantes sur certains des sujets essentiels à l’accélération de la production d’énergies renouvelables :
- Sur la planification, l’approbation locale des projets doit être améliorée par un dispositif de planification territoriale des énergies renouvelables. Dans le cadre de ce dispositif, des référents chargés de l’instruction des projets d’énergies renouvelables seront désignés dans chaque préfecture. Seront ensuite désignées dans chaque commune des zones d’accélération permettant d’atteindre les objectifs régionaux, tous les cinq ans. Un dispositif de planification est également prévu pour les éoliennes en mer, identifiant des zones prioritaires dans la zone économique exclusive et en-dehors des parc nationaux.
- Pour simplifier les procédures et réduire la durée d’instruction des projets, une présomption de reconnaissance de la raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) est instituée pour certains projets. Les référents préfectoraux à l’instruction des projets renouvelables doivent faciliter les démarches administratives des porteurs de projets. Un médiateur des énergies renouvelables devra aider à la recherche de solutions amiables. Enfin, des mesures tendent à réduire les risques contentieux.
- Pour mobiliser du foncier pour le solaire et l’éolien, la loi facilite l’installation de panneaux solaires sur des terrains artificialisés ou ne présentant pas d’enjeu environnemental majeur (bordures de routes, voies ferrées et fluviales, friches et parkings extérieurs de plus de 1500 m2). Les bâtiments non résidentiels neufs ou lourdement rénovés sont également concernés, et la mesure sera étendue aux bâtiments existants dès 2028. L’agrivoltaïsme est défini et encadré.
- Pour partager la valeur des énergies renouvelables, un mécanisme de redistribution est mis en place pour financer des projets verts dans les communes d’implantation. Les communes et leurs habitants pourront également prendre des participations aux projets. Enfin, le texte contient également des mesures de facilitation de contrats d’achat direct d’électricité ou de gaz renouvelable entre producteurs et consommateurs et des mesures pour simplifier le recours à l’autoconsommation pour les collectivités.
Cette loi a reçu un accueil mitigé des ONG et des acteurs du secteur à cause de son manque d’ambition et de certaines mesures risquant de causer de nouveaux blocages. Il est à espérer que les autres pièces du triptyque législatif sur l’énergie feront preuve de plus d’ambition pour assurer à la France un système énergétique décarboné et stable.
L’ensemble des débats a porté davantage sur le déploiement de technologies existantes que sur le développement des innovations technologiques en cours et à venir. On note une faible contribution du monde de l’innovation en général et des acteurs du financement de l’innovation en particulier dans les consultations préalables à la rédaction de cette loi. C’est d’autant plus regrettable qu’une des conditions essentielles de l’accélération des énergies renouvelable est le passage à l’échelle des innovations cleantech. Ainsi, une question reste ouverte : celle des priorités d’innovation technologique et du déploiement de ces dernières.
Les technologies de production d’énergie solaire classiques ne relèvent plus du domaine de l’innovation cleantech, et ne représentent plus un domaine industriel fort en Europe. Les investissements cleantech actuels sont sur des innovations comme les modèles qui couplent le solaire au stockage, pour une meilleure gestion de l’intermittence et l’intégration au réseau électrique, ou les nouvelles technologies solaires (hétérojonction et tandem). Cet axe d’innovation n’a pas trouvé sa place dans les discussions du projet de loi : il est à espérer qu’il sera pris en compte dans les projets de loi à venir comme celui sur l’industrie verte.
« Les innovateurs ont besoin de visibilité et de projection à moyen terme. Pour construire des installations industrielles de production solaire, il y a besoin d’équipements, de panneaux solaires. Nous ne pouvons pas dépendre quasiment exclusivement d’un pays pour les importer : la France doit se réindustrialiser en priorité sur les équipements stratégiques. »
L’innovation dans la production d’électricité à partir d’éoliennes est concentrée sur l’éolien off-shore (y compris flottant) et les briques technologiques pour le rendement des parcs. Le secteur de l’énergie éolienne fait l’objet d’investissements en capital-risque plus importants en France qu’en Allemagne ou au Royaume-Uni. Néanmoins, l’investissement global est très faible en France par rapport à ces deux pays voisins.
« La maturité technologique de l’éolien en fait un sujet de grands groupes industriels et de financement de projet plus que de capital-risque. Les startups du secteur ont principalement visé l’éolien flottant, encore naissant, et les briques technologiques permettant d’améliorer le rendement des parcs en fonctionnement. »
Enfin, l’accélération de la production d’énergies renouvelables et nucléaire est cruciale pour assurer une capacité électrique décarbonée et compétitive en France afin de permettre le développement d’innovations industrielles indispensables à la neutralité carbone. Il est impossible de produire de l’hydrogène vert, de l’acier décarboné ou des batteries de voiture sans une grande capacité électrique fiable, basée en France sur un mix entre le nucléaire et les renouvelables.
« La France a tout pour réussir et même mener la révolution industrielle autour de l’hydrogène. Les compétences, la capacité de recherche, l’appétit du marché et des marchés financiers. Le bottleneck est la capacité électrique décarbonée, compétitive et fiable. Si nous ne résolvons pas ce problème rapidement, la fenêtre d’opportunité se fermera car le marché n’attendra pas. »
La suite du cycle législatif sera essentielle pour les acteurs de la cleantech. Il reste à espérer que les enjeux de l’innovation seront mieux pris en compte et que les ambitions seront réhaussées afin de mettre en place les conditions nécessaires pour faire de la France un leader de l’industrie verte et de rapprocher l’Europe de la neutralité carbone en 2050. Pour cela, Cleantech for France continue son travail afin d’encourager et d’informer le dialogue entre les acteurs de la cleantech et les décideurs publics. Cela sera d’autant plus essentiel que l’année 2023 s’annonce compliquée pour les conditions de financement de la cleantech.